• Clipon Archives
    Renaud Duval
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Clipon Archives-Panorama 14

  • DESCRIPTION

     

    Installation : tirages photographiques (20x25 cm et 110x138 cm), projection vidéo (5h15), création sonore (avec la participation de Françoiz Breut)
     
    A l’aube des années 70, sur et autour de la commune de Loon-Plage, une vague d’expropriations entraina le déplacement de nombreux habitants et agriculteurs. Le projet était d’aménager un port en continu de Dunkerque à Calais et donc de libérer de l’espace pour des bassins et des quais. Fermes, hameaux et mêmes dunes ont ainsi été rasés.
    Le dessein ne s’étant pas réalisé dans les proportions escomptées, les bassins de la Baltique, de la Méditerranée ou du Pacifique n’ont pas vu le jour. Les terres ont de nouveau été cultivées, les dunes se sont reformées tant bien que mal. Et les traces de civilisation sont restées, indélébiles, incrustées à jamais dans le paysage du lieu, quel que soit son avenir (à l’image de la maison du pendu inscrite sur les cartes maritimes).
    Clipon archives est une recherche minutieuse (à partir de cartographies passées et actuelles, de témoignages), une archéologie contemporaine d’un lieu - le Clipon - ayant vécu mille et une vies, témoin de nos utopies, de nos changements d’ères et de nos folies.
    Clipon archives est une réflexion sur les notions de lieu et de paysage et les émotions et le temps qui les constituent.
    Clipon archives est un fantasme né d’une urgence : conserver un lieu et ses émotions avant qu’il ne soit annihilé.
     
    Renaud Duval, 2012
     
    Terrae Rasa

    Clipon archives est un travail dérisoire. Dérisoire parce qu’il met en scène la documentation illusoire d’un paysage insignifiant. Le Clipon n’a pas d’archives, n’est pas une archive. La mémoire ici zone et jonche, éparse et sans autorité. Il y a là des vestiges de fermes et de cultures mêlés aux traces plus fraîches de l’occupation industrielle. Il y a des photos conservées comme des relevés. Ces restes, on peut toujours les rassembler, les montrer. Ils ont la présence envoûtante et hermétique des indices. Mais entre eux, il n’y a pas d’histoire commune, pas d’histoire à dire. Il y a des dunes, des herbes hautes, le soleil qui se couche et se lève, le vent qui va, l’océan qui remue.
    Nous sommes à Dunkerque, sur les terres de la table rase. Nous sommes en terre rase. Or en terre, sempiternellement quelque chose pousse, croît, envahit, se retire, s’efface, s’enfonce ; et recommence. En terre il n’y a jamais une histoire écrite, décrite, détruite, réécrite. En terre, le mot « archive » est en prise avec quelque chose – que nous appelons nature – qui n’est ni originaire ni autoritaire, qui est sans fin ni commencement, sans arkhê.
    Les archives que veut fabriquer Renaud Duval sont des archives paysagères. Si, suivant Freud et Derrida, l’on conçoit que constituer une archive c’est toujours détruire les traces qui lui donnent lieu, substituer un récit partageable à la mémoire vive, si l’on accepte d’y entendre le méticuleux travail d’une pulsion de mort, alors peut-être l’on saisit plus justement l’entreprise dérisoire de Clipon archives. Car à nos volontés d’archivage, la nature oppose imperturbablement et avec indifférence une pulsion de vie dont le pouvoir ne dépend pas du fait d'être le premier (arkhê) mais du fait d'être fort (kratos). Ce pouvoir-là on ne peut pas l’archiver, on ne peut qu’en être témoin, éventuellement ému.
    L’archive paysagère commande donc une sorte d’archéologie à l’envers qui ne découvre pas mais collecte, qui ne déchiffre pas mais expose, qui ne signifie pas mais signale, qui ne protège pas mais inquiète. Un verbe nous manque en français pour dire ce que fait Renaud Duval de ces lambeaux d’histoires sans paroles livrés à la nature. Le verbe existe en grec : ainissesthai, « dire à mots couverts », qui nous a donné le mot énigme. 

    Sabine Ehrmann – Mars 2012

    Par Sabine Ehrmann (photographe, docteur en esthétique, enseignante formation Paysage à l'ENSAPL - École nationale supérieure d’architecture et du paysage de Lille -, chercheuse au LACTH - Laboratoire d’architecture Conception-Territoire-Histoire)